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Quand la mode défile dans la rue

Longtemps réservée aux podiums, la mode s’est peu à peu invitée là où elle vit vraiment , dans la rue.

C’est là que les tendances prennent forme, se mélangent et se réinventent au quotidien. Le « street style » n’est plus un simple reflet des défilés, il est devenu une source d’inspiration à part entière pour les créateurs et les marques de prêt-à-porter haut de gamme.

Dès 1909 en France, à la suite d’une commande de la revue La Mode pratique, les frères Séeberger arpentent les champs de course afin d’y photographier les styles vestimentaires, souvent élégants et composés de pièces de haute couture. S’y côtoient des gens de la haute société, personnalités du monde des arts et mannequins. Leurs photo-reportages sont alors très prisés des lectrices et les frères Séeberger sont alors sollicités par les magazines de mode de l’époque, tels que VogueFémina ou Le Jardin des Modes.
Dans les années 1930, le photographe hongrois Martin Munkácsi, résidant alors à New York, sort la photographie de mode des studios, et innove pour le magazine Harper’s Bazaar avec ses photographies de looks vestimentaires en extérieur, pris dans l’instantanéité, dans des lieux tels que la rue, la plage ou l’aéroport.

Dans les années 1940-50, l’Europe se relève de la guerre et la mode suit une dynamique paradoxale : d’un côté, la haute couture parisienne renaît sous l’impulsion de Christian Dior et son New Look — une silhouette ultra-féminine et luxueuse, symbole de renouveau. De l’autre côté, une jeunesse émerge, avide d’affirmer sa différence et son appartenance à de nouvelles tribus culturelles.

À Londres, les Teddy Boys adoptent le costume dandy réinterprété avec audace. Aux États-Unis, le jean, autrefois vêtement de travail, devient une pièce mode grâce à la culture rock’n’roll et Hollywood : James Dean, Marlon Brando… Des icônes qui sortent littéralement la mode des salons pour l’ancrer dans le quotidien des jeunes.

Après la guerre, à partir des années 1960, le photographe Bill Cunningham, dans un premier temps pour le Chicago Tribune, et ensuite pour le quotidien américain The New York Times dont il devient l’une des figures emblématiques concernant la mode, considéré parfois comme l’un des vétérans et précurseur de ce courant, va faire sa renommée et son succès sur ses clichés de looks de rue et son style de photographie sur le vif.

Dans les années 1990, des magazines de mode tels que The Face ou i-D se mettent à publier des portraits urbains de jeunes stylés. Émergent également, à la même époque, des ouvrages uniquement composés de looks de rue japonais, tels que les collections Cutie et FRUiTS.

À Paris, le quartier de Saint-Germain-des-Prés bruisse du jazz, des étudiants en rébellion, et d’une nouvelle garde qui casse les codes bourgeois : le trench oversized, le béret, le pantalon à pinces emprunté au vestiaire masculin. La rue devient un laboratoire de styles hybrides.

Aux États-Unis, c’est la contre-culture hippie et le mouvement Black Panthers qui font naître des styles emblématiques : chemises fleuries, franges, jeans pattes d’eph, afro fièrement assumée… La mode de rue est désormais politique.

Dans le prêt-à-porter féminin haut de gamme, le street style a bousculé les codes : on mixe une veste couture avec un jean vintage, un sac griffé avec des baskets minimalistes, un trench structuré avec une robe fluide. Le luxe n’est plus figé : il s’adapte à la vie réelle.

 

Le terme street style émerge vraiment dans les années 80, grâce à l’explosion des sous-cultures urbaines. À New York, le hip-hop donne naissance à un style unique : sneakers rares, survêtements de créateurs, casquettes… Les marques de sportswear comme Adidas, Puma ou Nike comprennent vite le potentiel.

À Tokyo, le quartier de Harajuku devient mythique : la jeunesse japonaise mixe pièces traditionnelles et looks futuristes, créant un street style fantasque qui fascine les photographes du monde entier.

C’est aussi à cette époque que la photographie de rue devient un genre en soi. À Londres, i-D Magazine et The Face mettent à l’honneur des portraits volés dans les rues. Les looks des passants deviennent aussi inspirants que ceux des podiums.

Au tournant des années 2000, Internet amplifie le phénomène. Scott Schuman, avec son blog The Sartorialist, parcourt New York, Milan et Paris pour capturer ces anonymes ultra-stylés qui attendent devant les défilés. Il donne au street style ses lettres de noblesse : désormais, photographier le public est aussi intéressant que couvrir le show.

Des magazines comme Vogue ou GQ intègrent des rubriques street style. On découvre que l’inspiration ne vient plus seulement des créateurs mais aussi des rédactrices de mode, mannequins hors podium, influenceuses en devenir… Le front row devient une scène à part entière.

En France, le street style prend une saveur particulière : l’élégance parisienne, supposément effortless, séduit le monde entier.

Les trottoirs du Marais, de Saint-Germain ou du Palais de Tokyo deviennent un terrain de jeu pour les photographes et influenceurs. Paris devient un carrefour : entre la haute couture figée et une jeunesse qui revisite le chic bourgeois avec désinvolture.

Aujourd’hui, le street style est bien plus qu’un style : c’est une vitrine vivante de l’époque. La rue influence les créateurs ; les créateurs redescendent leurs collections dans la rue. Un blazer signé Balenciaga se porte avec un jean Levi’s vintage. Un sac Hermès se promène avec un sweat oversize. Les barrières tombent.

Les Fashion Weeks sont devenues des spectacles à ciel ouvert où les invités rivalisent de créativité. Les comptes Instagram capturent tout instantanément : l’inspiration est à portée de swipe.

Le street style n’est plus un mouvement éphémère, il influence les créateurs, inspire les défilés et redéfinit le rapport entre haute couture et prêt-à-porter. Quand la mode défile dans la rue, c’est toute une génération qui s’affirme, indépendante, créative, libre de composer son propre vestiaire haut de gamme, sans règles imposées. À l’heure où la mode s’interroge sur son impact environnemental, le street style évolue. Plus durable, plus local, plus conscient : la génération Z chine, mixe pièces vintage et créations haut de gamme, prône l’authenticité.

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